Dessin de Charlie alter d'une patiente TDI
Dessin de Charlie alter d'une patiente TDI

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité et les troubles dissociatifs 

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP), développée notamment par Ellert Nijenhuis, Onno van der Hart et Kathy Steele, explique comment les traumatismes psychologiques — surtout précoces ou prolongés — peuvent fragmenter la personnalité en différentes parties dissociées, chacune ayant ses propres fonctions et états de conscience. cette théorie est basée sur les travaux de Pierre Janet.

 

La théorie de Pierre Janet (1859–1947)

Pierre Janet est un neurologue et psychologue français, pionnier de la psychopathologie et de l’étude des états dissociatifs. Ses travaux ont précédé ceux de Freud, mais sont aujourd’hui redécouverts et très influents dans la compréhension des troubles traumatiques et dissociatifs.

 

Concept central : la dissociation psychologique

Janet définit la dissociation comme un échec de l’intégration normale des expériences, pensées, émotions et souvenirs dans une conscience unifiée. Contrairement à Freud, pour Janet, la dissociation n’est pas une répression volontaire ou inconsciente comme dans le refoulement, mais un défaut de synthèse mentale dû à une surcharge de stress ou à une faiblesse psychologique préalable. Quand un traumatisme survient et dépasse la capacité de ces fonctions à intégrer l’expérience, soit parce qu’il survient à un âge trop précoce soit parce qu’il entraîne une détresse trop importante, le vécu reste « dissocié« , c’est-à-dire isolé du reste de la conscience

 

Le manque de synthèse 

La synthèse est la capacité de l’esprit à lier entre elles les différentes composantes de l’expérience psychique (émotions, sensations, perceptions, souvenirs, comportements) pour former une conscience cohérente, continue dans le temps et l’espace et unifiée. Exemple : après une expérience émotionnelle forte (ex. : un accident), une personne avec une bonne capacité de synthèse pourra se souvenir de ce qui s’est passé, ressentir les émotions associées, mettre des mots sur l’événement et l’intégrer dans son récit de vie. Lorsque ce processus échoue, Janet parle d’un manque ou défaut de synthèse. Ce terme désigne le défaut global d’intégration d’un événement ou d’une expérience dans la conscience. Il est au cœur des phénomènes dissociatifs. Par conséquent des fragments de l’expérience restent isolés (images, émotions, sensations, comportements) et ne sont pas accessibles à la conscience narrative, mais peuvent réapparaître involontairement sous forme de flashbacks, hallucinations, comportements automatiques.

 

Le manque de réalisation et de personnalisation

La synthèse ne peut pas avoir lieu parce qu’il y a un manque de réalisation. C’est l’incapacité à prendre conscience et reconnaître qu’un événement s’est réellement produit. Exemples : une personne dit : « Je sais que j’ai été agressée, mais je n’arrive pas à croire que c’est vraiment arrivé. » Elle peut décrire l’événement mais sans le ressentir comme réel. C’est un mécanisme de défense dissociatif où la personne est coupée de l’impact émotionnel de l’expérience. Cela est souvent observé dans le trouble de stress post-traumatique.

La synthèse ne peut pas avoir lieu parce qu’il y a un manque de personnalisation. C’est l’incapacité à ressentir une expérience comme étant la sienne. Exemples : « C’est comme si ce n’était pas moi qui vivais ça », « J’ai l’impression de me voir de l’extérieur ».

 

Ces deux phénomènes sont aussi appelés « déréalisation et dépersonnalisation ». 

 

Deux types de mémoire 

Janet distingue donc deux types de mémoire :

1. mémoire narrative : récit cohérent de l’expérience, intégrée à l’identité

2. la mémoire traumatique (ou émotionnelle) : faite de fragments sensoriels, émotions brutes, réactions automatiques, non intégrés. Ces souvenirs dissociés sont constamment revécus au lieu d’être rappelés, dans une tentative involontaire et désespérée d’être intégrés,  ce qui mène à des symptômes comme les flashbacks, les crises de panique ou les phobies.

L’alternance désorganisée entre ces deux mémoires constitue le socle de la théorie de la dissociation structurelle de Nijenhuis et al. a modernisée.

 

Deux types de parties de la personnalité

  1. PAN (Partie Apparemment Normale) constitue la partie de la personnalité qui s’occupe de la vie quotidienne. Elle évite les souvenirs traumatiques et cherche à fonctionner « normalement ». Elle est souvent inconsciente du traumatisme, voire complètement amnésique ou le nie.

  2. PE (Partie Émotionnelle) qui est une partie fixée dans le passé traumatique, qui revit le trauma (flashbacks, peurs, douleurs, etc.) et réagit de manière émotionnelle, défensive ou figée.

Trois niveaux de dissociation

  1. Primaire :

    • Séparation entre une PAN et une PE.

    • Typique dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT) simple tel qu’un accident ou une catastrophe naturelle unique.

  2. Secondaire :

    • Une PAN et plusieurs PE, chacune représentant un aspect différent du traumatisme. Souvent une partie émotionnelle contrôle PEc en colère et une partie émotionnelle fragile PEf qui a peur et qui est triste.  Souvent la PAN et les PE ne se supportent pas et ne sont pas d’accord entre elles. On parle alors de phobies entre les PAN et les PE ou entre PE, par exemple la PEc a souvent en aversion la PEf.

    • Fréquent dans les troubles de stress complexes, tels que plusieurs traumas naturels ou des agressions par des humains.

  3. Tertiaire :

    • Multiples PAN et multiples PE, aussi appelés personnalité hôte et alters. 

    • Présent dans le trouble dissociatif de l’identité (TDI) ou trouble de l’identité partielle (TDIp) souvent associé à des agressions physiques et/ou sexuelles en bas âge perpétrées par les figures d’attachement qui étaient censées protéger l’enfant ou par un réseau pédocriminel organisé. Le TDIp se distingue du TDI par une amnésie moins marquée entre les parties, et une intégration partielle du système de personnalité

    • Chaque « partie » ou « alter » peut fonctionner comme une identité distincte avec un certain niveau d’élaboration, allant d’une simple sensation à la création d’un personnage à part entière et distinct de la personnalité hôte, ainsi qu’un certain niveau d’émancipation c’est-à-dire une capacité d’autonomie plus ou moins importante part rapport à la personnalité hôte. Le signe distinctif du TDI est la présence d’amnésies entre les alters, ou entre un alter et la personnalité hôte. Lorsqu’il y a plusieurs PAN, elles ne sont généralement pas amnésiques entre elles. Dans le TDIp, l’amnésie entre les parties n’est pas complète, certains souvenirs sont partagés. Comme dans la dissociation secondaire, l’hôte et les alters ou les alters entre eux, ont de la peine à tolérer la présence de l’autre et ne sont parfois pas d’accord entre eux sur la manière de suivre la thérapie. 

Approche thérapeutique pour la dissociation primaire et secondaire

Trois étapes selon Janet : 

1. Stabiliser : apprendre des exercices de stabilisation tels que le contenant et le lieu sûr (tiré de l’emdr) pour faire barrage plus efficacement aux flashbacks, des exercices favorisant l’ancrage dans la réalité physique, des exercices hypno-imaginatifs rassurants, mais également la cohérence cardiaque, la relaxation de Schultz ou Jacobson, la méditation…

2. Traiter les traumas : dans les cas de stress post-traumatique simple et complexe, le retraitement avec l’emdr est généralement possible. favoriser l’intégration des différents moments du traumatisme. 

3. L’intégration dans la vie présente et future. les besoins sont variables selon les personnes, par exemple besoin d’affirmation de soi ou autre.

 

Approche thérapeutique spécifique au TDI et TDIp

1. Stabiliser : identique et indispensable dans ce trouble

2. Préalable au traitement des traumas : dans un premier temps, il est nécessaire de comprendre le système de personnalité et notamment quelle est la fonction des alters : qui est là, fait quoi, comment et pourquoi. On assiste parfois à un « swtich » de personnalité ou les patients disent encore qu’un alter est venu au front ou en « franglais » a « fronté ». Le changement de personnalité est subtil ou clairement visible : le patient parle avec une voix transformée, souvent une voix d’enfant, est parfois agressif verbalement, présente un comportement non-verbal différent… Certains auteurs conseillent de faire parler les alters au travers de la personnalité hôte, car les switch de personnalité sont extrêmement fatigants pour le patient. Mais ce n’est pas toujours possible d’empêcher les alters de sortir. On suggère au patient de dessiner son monde intérieur ou « innerworld » ou d’en faire une maquette. 

Pour ce faire, on apprend au patient, l’exercice de la salle de réunion ou table dissociative de Fraser, qui consiste à réunir tous les alters qui veulent bien venir autour d’une table pour tenter de se rendre compte qu’ils font partie du même hôte, de dialoguer, se mettre d’accord, augmenter la tolérance entre eux et favoriser le partage des souvenirs.

Lorsqu’un alter enfant, souvent appelé « little » par les patients, vient au front, il est généralement inconscient que la temps à passé et croit toujours vivre au temps du trauma ou se trouver sur le lieu du trauma. Il est alors nécessaire de l’orienter dans le temps et l’espace et lui faire prendre conscience qu’il vit dans un corps d’adulte et à notre époque. Cela ne va pas sans une certaine souffrance. Autre technique : on demande au patient de dessiner son monde intérieur pour expliquer comment il fonctionne. 

3. Traitement des traumas : lorsque le fonctionnement du patient est relativement stable avec moins de switch ou moins marqués, on peut tenter très prudemment d’aborder les traumas en en faisant un récit voire dans certains cas avec une personnalité suffisamment unifiée, les retraiter avec l’EMDR. Des techniques EMDR d’oscillation (CIPOS) peuvent être utilisées pour aider le patient à garder un pied dans la réalité et l’autre dans le trauma sans se faire happer dans le passé. De même on peut utiliser des techniques EMDR pour rassembler les ressources afin de faire face à une situation difficile.

4. Intégration : identique et indispensable

 

Tableau de synthèse récapitulatif 

Niveau de dissociationCaractéristiquesTroubles associésObjectifs thérapeutiques principaux
PrimairePAN / PETSPT simpleStabilisation + retraitement EMDR
Secondaire1 PAN / plusieurs PETSPT complexeStabilisation + EMDR + intégration progressive des PE
TertiairePlusieurs PAN et PETDI / TDIpCartographie des alters + travail interne + EMDR si possible + intégration